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  • Madeleine Hamel

S'isoler pour créer

Dernière mise à jour : 26 oct. 2023

J'ai passé des heures complètement absorbée par ce que je croyais être ce que les autres voulaient me voir faire. La crainte de blesser, la crainte de l'autorité, le besoin d'amour m'ont parfois mise dans des situations absolument absurdes. (…) Bien des rêves que j'ai caressés ne devaient jamais se réaliser, mais j'ai découvert, en revanche, une chose que je n'avais jamais rêvée, À savoir que la réalité peut être merveilleuse, même si la vie ne l'est pas (Liv Ullmann).

J’adore voyager, découvrir de nouveaux endroits et façons de vivre, mais il n’y a rien que j’aime mieux que de glisser la clé dans la serrure et refermer la porte derrière moi. Je retrouve mes murs, mon antre, mon « home, sweet home ».

J’enlève ma pelure de la journée et je revêts mes plus vieux habits, tous plus disparates les uns des autres, à des années-lumière d’un look sexy mais tellement confortables !

Souvenir : dans cette maison où il n’y avait pas de place pour l’enfance, mon père exigeait qu’on soit toujours lavés, poncés, vernis et habillés convenablement avant de passer à table. Le régime militaire prévalait dans SA demeure si bien que j’en ai gardé un goût amer au fil du temps et que je peux aujourd’hui passer des jours entiers en pyjama si je ne reçois pas ou que je ne suis pas obligée de sortir. Je pars à l’épicerie, je fais provision de solides et de liquides et je m’enferme dans mon atelier. Je branche mon « Bose » et j’oublie le temps qu’il fait dehors ou quelle heure il est. Seul mon estomac me rappelle que je dois nourrir mon corps de temps à autre si je veux garder mon esprit à l’affût.

Mon rythme circadien n’est régi que par ma créativité ou mon sommeil. Plus je vieillis et plus je deviens monacale. Depuis longtemps, je ne ressens plus ce besoin de m’épivarder dans un bar, d’aller voir ailleurs si d’autres de mes semblables y sont. J’ai de longues discussions avec moi-même et je me réponds ! Je m’entends plutôt bien avec moi-même.

Il y a quelque chose d’apaisant à ne plus avoir envie d’être regardée, remarquée, ce qui est, somme toute, une grosse économie d’énergie dans mon cas. C’est que j’ai longtemps eu les frontières de mes valeurs élastiques si je puis dire, à m’ajuster aux priorités des autres, comme une sorte de déformation professionnelle due à mon métier d’intervenante. Passer la moitié de sa vie assise à écouter, saisir, résumer, répondre, soulager… Maintenant, c’est debout que je peins la plupart du temps.

Il m’est arrivé de nombreux moments dans ma vie où malgré le fait d’être constamment entourée, je me sentais tout à fait seule. Les choses ont bien évolué depuis car quand je suis seule, je ne le suis jamais vraiment puisque c’est avec moi-même que je suis, ce qui revient à dire que parfois j’ai des conversations plus intéressantes que lorsque je suis en société ! Mais entendons-nous : solitude ne veut pas dire isolement. Je ne me languis pas du manque des autres, je ne ressens pas l’attente douloureuse de leur présence. Comme dit si bien Paolo Coelho : « La solitude n’est pas l’absence de compagnie, mais le moment où notre âme est libre de converser avec nous et nous aider à décider de nos vies ».

Il est vrai que le Capitaine me manque quand il navigue pendant 5 mois. Il est vrai que nos conversations, notre proximité et notre complicité me manquent, mais quand cela arrive, je n’arrête pas de vivre ni de respirer. Je vaque à mes occupations et lorsqu’il revient, je ne mets pas ma vie entre guillemets pour favoriser la sienne. Quand je suis seule, mon âme voyage entre les doux moments que nous continuons à partager (vive Internet!) et mes projets. Je « focuse » sur moi-même et sur les objectifs que je me fixe.

J’ai longtemps écrit et j’ai publié (bon, c’était dans des revues littéraires que personne ne lit, mais un premier prix littéraire, c’est pas rien même si ça fait pas avancer la science!). J’écrivais pas des romans Harlequin. C’était dark, mais après coup, je me suis rendu compte que c’était comme une forme d’auto-thérapie. Mais quand la thérapie est terminée, ou du moins bouclée en partie, qu’est-ce que tu fais avec ta créativité lorsqu’un matin, tu te lèves et que plus rien ne sort? Tu réfléchis pendant un bout de temps. Tu deviens introspective. Le temps passe et il ne se passe rien. Tu paniques parce qu’en dehors du temps que tu meubles entre le métro et le boulot, il ne se passe rien, du moins rien d’important. T’es tout sauf une sentinelle. Tu réfléchis et tu penses que rien ne se passe, mais ça cogite en dedans. Quelque chose mûrit et tu n’as pas de mots à mettre là-dessus. Ce silence est nécessaire. Parfois, ça peut durer des années.

Pour créer à nouveau, je devais nourrir mon esprit et mon âme par des souvenirs, des projets, des émotions. Pour plonger, j’avais besoin de temps et de silence intérieur pour intégrer tout ça.

Autre souvenir : Nous sommes au nord de l’Espagne. Depuis deux semaines, nous naviguons en compagnie d’un ami anglais, John, qui a un magnifique bateau appelé Himalaya. Nous naviguons côte à côte sur les côtes de l’Espagne et le soir venu, nous l’invitons à souper sur notre voilier parce qu’il est seul sur le sien. Il est de bonne compagnie et le vin coule à flots. Un soir de pleine lune alors que nous divaguons sur le sens de la vie, John dit que s’il mourait demain, il serait pleinement satisfait de la vie qu’il a menée. Mon Capitaine en rajoute en disant qu’il avait accompli la plupart de ses rêves. Mes yeux se noient dans une rivière de larmes que j’ai peine à contrôler. John me demande : « Did I say anything who hurt you?” (ou quelque chose du genre). Je réponds dans un anglais qui prend du galon à mesure que je bois que je me rends compte que j’ai à peine réalisé un dixième des rêves que je m’étais construits quand j’étais jeune.

À partir de ce moment-là, l’idée m’a hantée. L’idée, en fait la certitude, que je ne voulais pas mourir de la même façon que mon père, c’est-à-dire perclus de remords à l’idée de ne pas avoir vécu la vie qu’il avait rêvée. Parce qu’au fond, certains rêves se réalisent quand on y met l’effort, ou simplement quand on saute dans le train lorsqu’il passe, même s’il est à grande vitesse et qu’on ne sait pas où il va. On sait simplement que c’est le temps de sauter et que si on ne le fait pas, il sera trop tard. Comme une rencontre avec soi-même qu’on ne doit pas manquer, parce qu’on en manque tellement quand on ignore, comme une simple excuse qu’on a du temps devant soi…

Pourquoi n’avais-je pas réalisé une partie de mes rêves? Parce que j’avais peur de la solitude. Je la confondais avec l’isolement. Mais la vérité, c’est quoi au fond? La vérité c’est que les idées naissent et fleurissent dans la solitude. C’est plate mais c’est de même. Je ne remercierai jamais assez le Capitaine pour m’avoir obligée à confronter cette solitude lorsqu’il a mis à profit son projet de retraite de partir 5 mois par an pour naviguer sur la planète. Je me retrouvais seule dans cette grande maison dont je ne savais que faire. Je la détestais parce qu’elle était épurée de sa présence.

Picasso disait : « Sans grande solitude, aucun travail sérieux n’est possible ». La solitude c’est des moments où on n’est pas sollicité par des éléments extérieurs, c’est des moments où on peut se concentrer sur sa mémoire, son imagination, sa sensibilité qui laissent place à l’invention de quelque chose qui n’existerait pas sans qu’on ait mis un effort pour le créer.

La solitude, c’est pas juste faire ce que je veux quand je le veux, mais c’est aussi un moment qui permet que l’esprit soit moins encombré. Rien ne vient perturber le fil de mes pensées. Je n’ai qu’à fermer le son de mon téléphone, à m’éloigner de mon ordinateur. Je descends dans mon atelier et je mets de la musique. Je laisse mon imagination me déborder.

Hier, je suis allée à la galerie. Mon associée est arrivée plus tard avec son sourire unique. On s’est fait la bise. Elle s’est installée puis elle a commencé à peindre. La musique jouait, on était chacune dans notre bulle. On s’est échangé peu de mots, de temps en temps une réflexion : « Imagine-toi donc que… ah ben… c’est pour dire, hein?... », puis le silence. Juste la musique qui joue, et nos esprits concentrés sur ce qu’on fait. C’est tellement facile avec elle. On n’est jamais mal à l’aise dans les silences. On se ressemble sur bien des aspects.

On est deux. Seules mais ensemble. Ensemble mais seules. C’est ben correct de même!! On rêve du moment où on pourra louer un espace supplémentaire qu’on partagera avec d’autres pour peindre sans être dérangés. Il y aura de la musique et si la mienne – plutôt rock – dérangent les autres, ben je la changerai. Ça me dérange pas parce que c’est tellement pas grave comparativement à l’harmonie que j’y gagne.

Bizarrement, le jour où j’ai accepté que la solitude n’était pas mon ennemie mais plutôt une alliée pour créer, j’ai réalisé que je croyais toujours à ce que Liv Ullmann avait écrit dans son livre « Devenir » lorsque je l’avais lu il y a 30 ans :

(…) qu'il est parfois moins pénible de se réveiller seule et d'éprouver un sentiment de solitude parce que l'on est effectivement seule, que de se sentir seule alors qu'on se réveille à côté de quelqu'un d'autre".


Mado

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