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  • Madeleine Hamel

Créer au plus sacrant afin de ne pas oublier

Dernière mise à jour : 26 oct. 2023




Ma mère avait dans les soixante ans et elle oubliait des choses parfois. Elle nous disait : « Hey, les enfants, ça se peut-tu que je fasse de l’Alzheimer? ». On lui répondait : « Ben non, c’est juste l’âge! ». Aujourd’hui, elle a été diagnostiquée démence mixte il y a 5 ans et elle a 87 ans. Ça me fait « freaker ». Parce que j’en ai 62 ans et j’oublie plein d’affaires depuis environ 2 ans. Ça met mon chum en rogne parfois. Mais moi, je ne fais pas exprès. Je ne m’en rappelle juste plus! Ça me fait capoter!


Je me réveille le matin et j’ai juste des bribes de ce qui s’est passé la veille. Parfois, c’est comme un rêve, d’autres fois c’est comme quelque chose qui me fesse dans le kodak (comme dirait ma chum Eve). Quand je me réveille le matin, il m’arrive parfois de penser que j’ai rêvé puis tout à coup, ça devient une réalité. Parfois, c’est le contraire : je crois vraiment avoir dit ou fait quelque chose et mon entourage me dit que non. Et je prends plus de drogue depuis au moins 35 ans, je le jure! Pis quand j’en prenais, c’était pas des drogues dures. Donc, pas grand chance que ce soit des « revivals de come back »! Je veux bien assumer mon âge, mais pas les pertes qui viennent avec, quand même!


Quand j’étais jeune (dans la quinzaine), il y avait une pub de colorant à la télé où on voyait une blonde entourée de gars et au loin une brune seule sur le quai qui braillait sa vie. Une voix hors-champ chantait : « Vrai ou faux, tout le plaisir est pour les blon-DES? ». Moi, j’ai été « beige drable» de nature, mais blonde de coloration toute ma vie. Ben là, je suis tannée!


J’arrive de chez ma coloriste et je lui ai dit : « Pu capable du blond-jaune! Amène-moi vers ma couleur naturelle », soit un genre de gris-beige qui tire férocement vers le blanc, plus les années avancent. J’ai eu droit à une leçon de coloration qui m’a enseignée sur le fait que c’est pas le roux qui est le plus dur à tenir sur des cheveux mais le gris qui vire au blond après 2 semaines. Donc, pas question de mèches grises mais quelque chose de plus cendrée qui coupe le jaune. Hum…


Tout cela pour dire, note à moi-même : parfois, il faut faire confiance au destin et s’abandonner. Je lui ai donc dit : « Fais ce que tu veux, du moment que j’ai l’air de mon âge et pas d’une cougar-moufette sur le retour qui essaie de paraître plus jeune ». Je crois qu’elle a trouvé ça très drôle et elle s’est mise à la tâche. Résultat : Je me dirige lentement vers la sagesse, je crois! J’accepte mes rides depuis longtemps, mes cheveux gris de plus en plus, mes couches de plis (surtout depuis que j’ai perdu 100 livres), les seins qui suivent l’attraction terrestre (c’est vrai qu’avoir un conjoint qui te trouve belle pareil et qui ne s’intéresse pas aux petites jeunes, ça aide!).


Je ne me sens ni angoissée, ni terrorisée par l’idée de vieillir. Par contre, ce qui m’angoisse le plus est de me retrouver dépendante de mon entourage en vieillissant. Parfois, il m’arrive de raconter une tranche de vie et lorsque je reviens à la maison, mon chum me dit : « Tsé, Mado, ça fait X fois que tu la racontes cette histoire-là ». Je cabotine sur le coup, mais par la suite, je peux pas m’empêcher de me poser les mêmes questions que ma mère. Quand elle a commencé à se poser la fameuse question, c’était il y a 25 ans. Depuis, ils ont dû injecter des milliards pour la recherche sur cette maladie. Mais au bout du compte, même si on me disait que présentement il existe un test pour dépister l’Alzheimer, même si je le passais et que ça testait positif, qu’est-ce que je peux faire de plus? Y a-t-il un médicament qui empêche la maladie d’exister? Non. J’ai le temps de radoter 100 fois avant que ça arrive.


Tout cela pour dire, encore, que j’imagine facilement que vous devez vous demander de quoi je parle présentement. Réponse : je parle du sens de la vie, de ce que ça donne de vivre. Parce que je ne laisserai pas de trace au-delà de ma fille qui n’aura pas d’enfants. Ma lignée va s’arrêter là, à peine 30-40 ans après ma mort. Pour certains, c’est lugubre, c’est macabre, mais c’est la réalité. En vieillissant, on finit par se demander ce que vaut une vie, l’expérience d’une vie, une goutte dans l’océan… Je pense à ça ces temps-ci. Comme si avoir des petits-enfants pouvait nous rassurer. Parce que la plupart d’entre nous ne connaîtrons pas leur descendance. Si on est chanceux, on va connaître ses arrière-petits-enfants, mais après…


Wow! Que me voilà songée!!! Qu’est-ce qu’il reste? Des tableaux qu’on aura peints et qui, si encore on est chanceux, se transmettront de génération en génération?


Mais pas grand monde est Picasso ou Monet… Alors, il nous faut créer pour cette vie-ci, pour donner un sens à la vie qu’on mène maintenant, pour s’accrocher au fait qu’on a fait quelque chose de significatif en autant que ça nous a rendu heureux et que le fardeau de la vie s’en est trouvé allégé.


Alors, il faut créer (peu importe c’est quoi) avant d’oublier ce qu’on a fait. Une phrase me hante, celle du grand-père de Yan England qui avait demandé à sa fille (la mère de Yan England) : « Est-ce que j’ai été un homme bon?".


Ça me hante plus je vieillis. Moi aussi, je me demande de plus en plus si j'ai été une femme "bonne"? Est-ce que j'ai aidé les autres à grandir? Je me suis associée à une galerie d'art pour des tas de raisons, mais aussi pour pouvoir donner au suivant, transmettre ce que j'ai appris, comme un legs.


Je crois que créer, transmettre ce qu’on sait avant de mourir aide à calmer cette angoisse.


Mado

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